Edito
Itinéraires croisés : Tagore et Daniélou.
En 2011, le monde commémore les cent cinquante ans de la naissance du prix Nobel de littérature, le poète Rabindranath Tagore qui se proposait de réconcilier l’Occident et l’Orient. Depuis huit décennies, l’œuvre d’Alain Daniélou permet d’éclairer la vie de cette personnalité unique avec laquelle il partageait plusieurs points en commun qui expliquent peut-être cette amitié aussi durable qu’inattendue.
Le 18 juin 2011, en présence des autorités bangladaises et indiennes, l’ambassade de France à Dhaka organise, avec l’Alliance française de Dhaka, le vernissage de l’exposition de photographies d’Alain Daniélou et de Raymond Burnier intitulée Tagore et le Message Universel. Cette exposition est proposée par l’Alliance française de Chittagong où elle a commencé le 3 et le 4 mai en présence, notamment, du secrétaire d’Etat aux affaires étrangères du Bangladesh et de Mme Bibi Russell, envoyée spéciale de l’Unesco. Présentée en collaboration avec le Centre d’Etudes Alain Daniélou/ Fondation Harsharan et l’Alain Daniélou India Committee, l’exposition a reçu le soutien moral de l’Unesco dans le cadre des programmes de commémoration Rabindranath Tagore, Pablo Neruda, Aimé Césaire, l’Universalité réconciliée. La presse internationale a réservé un accueil enthousiaste à cet événement, ce succès rappelant l’attrait de l’œuvre de Tagore et la valeur des archives de Daniélou. Photographies, peintures, musique, traductions, récits et témoignages, ces archives constituent un matériau unique pour la redécouverte d’une personnalité et d’un épisode clé de l’histoire culturelle du 20ème siècle. L’exposition est aussi l’occasion de revenir sur les nombreuses affinités partagées par Tagore et Daniélou.
Tagore incarna à bien des égards ce qu’on appelle la Renaissance bengalie. Après son exploration des traditions savantes, Daniélou retrouva quant à lui les sources de la Renaissance européenne. Leur œuvre est un appel à cultiver l’art de vivre et la liberté de penser, ainsi qu’à la réunion du savoir et des arts. On retrouve ce message dans cette série de clichés qui révèle des enseignants et des apprenants parmi les arbres centenaires ou en train de décorer de fresques les murs de leur bibliothèque. Le sourire sur les visages de ces étudiantes et de ces étudiants reflète la volonté d’un apprentissage joyeux où les êtres humains paraissent en symbiose avec leur environnement, leur source d’inspiration.
En 1901, Tagore choisit Santiniketan, une localité rurale, pour y créer un centre éducatif. En 1932, quand Daniélou et Burnier y séjournent par la première fois, une des pages les plus originales de l’histoire culturelle contemporaine est en train de s’écrire. Une série d’allers-retours mène les deux compagnons à devenir des acteurs familiers de l’initiative inspirée et dirigée par le poète. Daniélou s’intéresse aux poèmes chantés de Tagore et mène ses premières recherches musicologiques concernant la musique indienne. C’est aussi le début de sa découverte de l’Inde rurale. Avec Burnier, il réalise plusieurs séries de clichés consacrées aux institutions de Tagore, aux danses santals et aux foires rurales. Ils organisent aussi la venue de Christine Bossennec, qui y dirigera la section féminine et jouera un rôle clé dans le paysage culturel franco-indien.
Une quinzaine d’année plus tard, lors de l’indépendance de l’Inde, Rathindranath, le fils du poète demande à Daniélou de réaliser l’orchestration de l’hymne et du chant national indien mis en musique par son père qui a aussi écrit les paroles de Jana Gana Mana.i En 1961, au Musée Guimet de Paris, lors de la célébration de l’anniversaire des cent ans du poète, Daniélou est invité à partager l’expérience de sa collaboration avec lui et la même année il publie trois de ses poèmes chantés. Le poète accordait une grande importance à la diffusion de ses chants en dehors du sous-continent. A la fin de sa vie, Daniélou se consacre à la publication de l’orchestration de quinze autres poèmes et à leur traduction.
Daniélou partage avec Tagore les qualités de libre penseur, d’artiste prolifique et versatile et, comme le poète, il a joué un rôle essentiel pour la promotion de l’héritage immatériel de l’humanité. Les deux personnalités acquirent leur compétence en dehors des cadres formelsiii et veillèrent à ne se laisser enfermer dans aucune des nombreuses cages de la pensée. Ils choisirent une vie « excentrée », en dehors des centres du pouvoir qui les avaient vu grandir et leur tendaient les bras. Calcutta est la seconde ville du plus grand empire du moment, lorsque, en 1901, Tagore la quitte pour s’installer à Santiniketan, dans la campagne bengalie. Au début des années 1930, alors que tout semble favoriser une carrière parisienne, Daniélou, danseur et musicien, entreprend une vie de voyages.
Auprès des bauls, des communautés santals, partageant la vie rurale du Bengale, rythmée par ses six saisons et ses nombreuses fêtes de villages, Tagore retrouve des conditions propices à la création. Il encourage les savants qui l’entourent à aller récolter les traditions orales, comme celles des chants bauls, ou ceux de Kabir.iv Un siècle plus tard, la tradition des chants bauls sera intégrée au patrimoine immatériel de l’humanité et les chants de Kabir restent populaires jusque dans l’industrie musicale indienne.
Daniélou en quittant Paris part à la rencontre des traditions musicales savantes et vivantes. S’attachant à la sémantique propre à chacune de ces traditions, il s’attache à démontrer leur valeur universelle et à les faire découvrir au monde entier par des enregistrements et des publications. Une réalisation pionnière de l’Unesco pour la promotion du patrimoine immatériel voit ainsi le jour. Elle est le fruit d’un travail de recherche qui a commencé à Santiniketan. Aujourd’hui, l’œuvre de Daniélou pour la promotion des traditions musicales permet à des milliers de musiciens de vivre de leur art.
Cette série de photos présente Tagore animé d’un sourire amusé. « Faire son travail sérieusement, sans se prendre au sérieux » aimait à conseiller le scénariste et auteur René Goscinny. Ce principe illustre parfaitement l’attitude des deux amis qui ont chacun réalisé une œuvre considérable sans jamais se départir d’un solide sens de l’humour. Un des intérêts de leur œuvre réside effectivement dans la capacité à proposer des vues contradictoires qui sont le reflet de la réalité, l’humour étant le moyen trouvé par l’être humain pour y faire face avec élégance. Daniélou décrivait Tagore comme une personnalité curieuse de tout, de tout le monde, à l’affut du moindre bruissement de vie, de création. Cette description est proche de celle que donnait Nicolas Nabokov du musicologue. Cette immense curiosité et cette capacité à remettre en perspective les vérités trop facilement acceptées leur permirent d’aller au-delà des apparences et de n’avoir de cesse de continuer à chercher.
Nous connaissons le résultat ; pour Tagore, la production d’un répertoire immense de poèmes et de chansons, mais aussi des essais, des chorégraphies, des pièces de théâtre et environ deux mille peintures, aux côtés de la création et de la direction d’institutions éducatives ; pour Daniélou, une quarantaine de livres (études, traductions, nouvelles) plus de quatre cents articles, des dizaines milliers de fiches sur la civilisation indienne, des centaines d’heure d’enregistrements de musique recueillis dans différentes régions du monde, des milliers de photographies, quelques compositions musicales et chorégraphiques et des centaines de peintures, et cela parallèlement à l’organisation de concerts et de colloques dédiés à la musique… le tout constituant un fonds d’archives immense et multimédia avant l’heure. Ces œuvres d’autodidactes, parmi les plus célèbres de leur temps, restent des références pour l’histoire culturelle et artistique du 20ème siècle et une source d’inspiration au 21ème siècle.
Samuel Berthet.
1 Il existe pour l’Inde un hymne national, Jana Gana Mana, composé entièrement par Tagore et un chant national, Vande Mataram, dont les paroles ont été écrites par Bankim Chandra Chattopadhyay et mis en musique par Tagore.
Rabindranath Tagore, The National Anthem [of India]. (Jana-Gana-Mana.) Melody and Words by Rabindranath Tagore. (Visva Bharathi authorised version.) Transcription and piano arrangement by Shiva Sharan (Alain Danielou), Office of the High Commission of India, c. 1950.
1 Rabindranath Tagore, Poèmes chantés/Song-poems, présentés, traduits et adaptés par Alain Daniélou, Michel de Maule, 2005. 1 Aucun des deux ne passa de diplôme d’études supérieures.
1 Ce fut le cas de Ksitish Mohan Sen, grand père maternel d’Amartya Sen, représentés sur un des clichés de l’exposition.
Actualité
TAGORE : 150 ÈME ANNIVERSAIRE
Extrait d’une interview réalisée par Alain Danielou de Rabindranath Tagore dans les années
1930.
“…………You can see that your civilisation is a failure because the people in the east are so much afraid of it. Why should the people be afraid of a civilisation if there is not something wrong in it. The west people forgot the essential Ends of life; they stopped in the details and did not know the real meaning of their activity. I have travelled all over the East, in Persia, Irak, China and I always found the people trying to keep together to keep away from western civilisation as if it was a great danger. I was afraid of asking money from my European friends……………
A photo studio on the banks ofthe Ganga
Alain Daniélou – Raymond Burnier (Santiniketan/Benares 1936-1954)
By Samuel berthet – Translation by Renuka George.
……………. « The second characteristic of this collection is geographical. The meeting between the two artists and that of the two travelers who drove the cars they sometimes designed, through the landscapes of America, Europe and Asia. They shared the same love of beauty and travel. India occupied a central place and their is certainly one of the richest photograph collections on India, of this period. There is a disturbing gap between the nomadic nature of this collection that is marked by an exploration of the sub continent in a caravan, a sophisticated travelling laboratory, that allowed them to take photos in natural exterior light, that were of an exceptional quality, in very distant parts of the country, and long series of photos of the Ganga, taken from their fixed home – the Rewa Kothi palace – with its two towers, like a lighthouse that advances into the river which looks alike o moon crescent on a silver bed. » ………………………….
…………… « The photo displayed in this catalogue and this exhibition are a unique selection made from the original collection by the Alain Danielou India Committee on the occasion of the first international seminar dedicated to his work and legacy in 2008 held in Benares and in Dehli. Among the thousands of Small printings classified, sometime the originals are not available anymore, or reference to the date and subject are missing. It is not always mentioned if the photographer was Alain Danielou or Raymond Burnier. The work proposed to you is therefore the result of a first attempt to crisscross information on the two artist’s work to value the exceptional quality, both informative and artistic, of a photo collection dedicated to south Asian art and culture. »
Article du journal Holiday du 24/06/2011 avec une photo présentant de D à G: la dir de l’AF de Dhaka, Saliha Lefevre, le président de l’AF de Chittagong Adil Husain, le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Md Mijarul Quayes, le Ministre des Finances, Abdul Muhith, l’ambassadeur de France à Dhaka, Charley Causeret, le gouverneur de la Banque du Bangladesh, Dr; Atiur Rahman, Dr. Samuel Berthet, directeur de lʼAlliance française de Chittagong, et l’ambassadeur (Haut Commissaire selon la terminologie britannique) d’Inde à dhaka Mr Rajeet Mitter.
Chittagong Express, Alliance française de Chittagong, le mot du directeur :
L’Alliance française de Chittagong poursuit sa promotion es échanges culturels et de l’image d’une ville qui a tant à offrir. Le Bangladesh à Paris a constitué un événements exceptionnel à l’occasion des 40 ans de la libération du pays, en présence des ministres des finances, de la culture, du secrétaire d’Etat aux affaires étrangères et de l’ambassadeur du Bangladesh en France. Les œuvres de 35 artistes ont pu être présentées au public français.
Pour cette saison printemps/été, le cinéma est à l’honneur avec différents festivals : francophonie, films des écoles, One minute One Tree. La campagne pour la biodiversité continue, notamment avec le festival de la restauration lente (slow food), en collaboration avec Asian University for Women, Bishaud Bangla at Mermaid café, ainsi que les échanges culturels sous les formes diverses dans un centre qui participe au renouvellement de la vie intellectuelle et culturelle. A ce titre, l’AFC est fière d’accueillir des enseignants d’horizons variés : Anna Zaczek et Maxime Gabarra.
Enfin, l’AFC propose un programme unique à l’occasion des 150 ans de la naissance du poète universel, Rabindranath Tagore. Par son histoire, sa famille et son inspiration, le grand poète appartient aux deux pays de culture bengalie, le Bangladesh et l’Inde. Par son œuvre et son message, il appartient au monde entier. Fruit de plusieurs années de recherche, l’AFC est fière d’offrir en avant première mondiale une exposition de photographies inédites, par Alain Daniélou et Raymond Burnier, du poète et de Santiniketan point d’orgue d’un programme
intitulé : Tagore, le Message Universel. Cette exposition voyagera ensuite à Dhaka, en Europe et en Inde. Une occasion de plus pour la ville portuaire, par cet événement produit par l’AFC , d’afficher sa place dans le monde et de rappeler ce long et fructueux échange entre les cultures bengalies et françaises qui a vu éclore tant d’œuvres.
Samuel Berthet
REVUE DE PRESSE PARTIELLE
Traductions en 2011 en Italien et en espagnol :
La fantaisie des dieux et l’aventure humaine, Editions du Rocher, collection Traditions.
Editions Casadeilibri, Padova pour la version italienne ;
Titolo : la Fantasia degli dei e la fine del mondo seconda la tradizione shivaita.
Traduzione : Lorenzo Casadei, Francesco Fonte Basso e Petra Lanza.
Editions Atalanta, Girona pour la version espagnole
« ……….Les inquiétudes et les tendances de la jeunesse actuelle l’éloignent des religions moralistes et des idéologies arbitraires qui, selon les textes shivaïtes, caractérisent le dernier âge de l’humanité qui court à sa perte, mais rien de solide et de crédible n’apparaît pour les remplacer. Le moment semble donc opportun pour rappeler les conceptions d’une très ancienne sagesse transmise à travers les âges, souvent sous une forme occulte, et qui seule pourrait permettre à l’humanité de retarder l’échéance de la “ destruction provoquée “ qui la menace ».
« Nous vivons au bord d’un cataclysme, mais ce cataclysme ne sera dû qu’à nos erreurs et c’est la folie des hommes qui
en déterminera le moment. Il est donc pour nous essentiel de comprendre comment et pourquoi l’humanité est sortie du rôle qui lui était assigné dans la création et de rappeler comment les voyants des premiers âges avaient défini ce rôle ».
Les Aryens étaient hostiles à l’écriture. Après la destruction des cités de l’Indus, l’écriture disparut officiellement de l’Independant plus d’un millénaire. Les textes scientifiques, philosophiques et religieux de l’ancienne civilisation furent préservés par des organisations monastiques secrètes. Reconstitués et traduits en sanskrit lors du réveil de l’ancien shivaïsme au début de l’ère chrétienne, ils provoquèrent une prodigieuse renaissance qui dura jusqu’aux invasions islamiques du XII ème siècle. Une partie seulement de ces textes a été éditée et très peu ont été traduits. Leur authenticité a été pourtant récemment confirmée par des parallèles sumériens. Ils révèlent des connaissances sur la nature de l’Univers, l’origine de la matière et de la vie, sur l’astrophysique, la biologie, l’évolution, les rapports de la pensée e du langage qui rejoignent et dépassent les conceptions les plus audacieuses des sciences modernes. Les chapitres sur l’histoire et le destin de l’homme, sur la fin prochaine de l’humanité dans un « cataclysme provoqué » sont d’une actualité terrifiante. C’est auprès des représentants de l’ancien shivaïsme qu’Alain Daniélou a pu réunir les éléments de ce livre qui présente le plus étonnant document sur la raison d’âtre, l’histoire et le destin de l’humanité.
Sur le net
Renaud Camus, né à Chamalières dans le Puy-de-Dôme le 10 août 1946, est un écrivain français. Il est notamment l’auteur d’un journal tenu depuis 1985 et publié année par année. Il est également engagé politiquement, notamment depuis qu’il a créé le parti de l’In-nocence en 2002.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Renaud_Camus
Galerie
Alain Daniélou
La terrasse de Rabindranath
Tagore, Santiniketan, 1936, Aquarelle.
Albums
Alain Daniélou et la danse (1927-1937):
Des copies de cet album peuvent être acquises par l’intermédiaire de notre site Internet www.alaindanielou.org à la rubrique « Boutique » . En cas de non livraison dans un délai de 20 jours nos contacts sont email : info@alaindanielou.org, Fax 00 33 (0) 9 55 48 33 60, Message vocal : 00 33 (0) 9 50 48 33 60
Soucieux de la conservation de ces photos anciennes et de révéler un aspect peu connu d’Alain Daniélou, à savoir sa carrière de danseur dans les années 30, le Centre d’Etudes Alain Daniélou a réalisé cet album qui fait revivre un pan de la vie de cet artiste avant son départ pour l’Inde.
C’est là qu’il aura l’occasion de danser pour le poète Rabindranath Tagore. Son installation à Bénarès en 1937 l’éloigne de la danse au profit de la musique : il étudie la musique indienne, apprend à jouer de la Vina, puis s’immerge dans la tradition hindoue, sa culture, sa philosophie.
En 1994 son ami, le compositeur Sylvano Bussotti s’intéresse aux musiques qu’Alain Daniélou avait composées dans sa jeunesse et publie un petit recueil « Quatre danses d’Alain » qu’il complète. Ces danses seront interprétées entre autres par le danseur Toni Candeloro.
Centre d’Etudes Alain Daniélou, Avril 2011