ÉDITO
Alain Daniélou est un personnage gênant, incommode, dérangeant, un agitateur d’idées à contre courant du politiquement correct et des idéologies dominantes.
Sur la plan occidental, il n’est pas issu de l’Université, il ne s’est jamais revendiqué comme un scientifique qui étudie l’Inde et les Hindous comme un entomologiste étudie les fourmis.. Il s’est défini comme un artiste, un amant de la beauté, un homme libre et la multitude de ses intérêts en font un personnage inclassable, fantaisiste, imprévisible.
Il est cependant un formidable connaisseur de l’Inde traditionnelle profonde qu’il a vécu de l’intérieur jusqu’à la considérer comme son pays, sa patrie. Dans les études indiennes, il est incontournable à tel point que même ses détracteurs emploient parfois sa terminologie. Son livre sur la religion hindoue, Mythes et Dieux de l’Inde, publié en 1960 reste le livre de référence sur le sujet. Sa dimension internationale est évidente quand on sait qu’il est publié en 12 langues dans plus de 17 pays. Dans un Occident monothéiste, frileux, buté sur son idéologie démocratique, et terriblement ignorant de la société indienne traditionnelle, le seul fait d’employer les mots « castes » « polythéisme » de manière positive lui attire les foudres de personnes qui, le plus souvent, n’ont jamais mis les pieds en Inde ni lu une seule ligne de cet auteur.
Jusqu’à présent sur le plan indien ses livres ne sont accessibles qu’en Anglais et donc seulement à une caste d’Indiens occidentalisés qui souvent ne lisent plus rien dans les langues de leur pays et ont adopté un puritanisme hérité de l’époque victorienne du colonialisme anglo- saxon triomphant. Ils sont donc aussi, très opposés à un penseur qui soutient une société orthodoxe qu’ils ne connaissent pas et qu’ils veulent éliminer, qui fut l’un des premiers à s’intéresser aux sculptures érotiques des temples et qui, comble de la provocation, affiche avec tranquillité une homosexualité parfaitement assumée.
On voit donc que les oppositions à Daniélou sont férocement ancrées dans différents milieux. D’un autre côté loin de moi l’idée de penser que son œuvre multiforme ne mérite que laudes et compliments. Mais comme il convient toujours les critiques ne sont
acceptables qu’en référence à des textes précis, à une connaissance suffisante de ses livres.
Ayant été son collaborateur pendant 32 ans et ayant appris avec bonheur, auprès de lui, un « art de vivre » très différent de celui qui a cours en Occident je me suis fixé comme but de chercher à diffuser son œuvre et à mettre à disposition des lecteurs tout ce qu’il a pu écrire durant sa longue vie. J’arrive au terme de ce travail qui permettra à chacun de juger mais surtout qui permet à l’Occident d’avoir accès à une forme de société, une religion, une philosophie de la vie qui ouvre des horizons nouveaux à nos systèmes. Non qu’il s’agisse de transposer tels quels les principes d’une société qui n’a pas eu notre histoire, notre évolution, mais une si antique et vaste culture, les formes les plus hautes d’un pensée philosophique étayée d’une immense littérature, le laboratoire qu’est l’Inde depuis des siècles d’une société multiculturelle, multi religieuse, multiethnique, multilingues ne peuvent restée ignorées et peuvent apporter des clefs à notre monde occidental confronté seulement depuis quelques décennies à ces mêmes problèmes.
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L’œuvre de Daniélou est, en ce sens, primordiale.
Sur le plan musical et musicologique le consensus est général pour accorder à Daniélou le grand mérite d’avoir été l’un des premiers à soutenir les musiques savantes de l’Orient. Il fut la cheville ouvrière pour faire connaître à l’Occident les musiques du monde et s’employa à préserver diffuser et aider au développement des musiques de hautes cultures de l’Asie. Son travail à l’Unesco, les Instituts qu’il a fondés à Venise et à Berlin témoignent de son travail et de l’action décisive qu’il a eus dans ce domaine.
Il est certain que la personnalité d’Alain Daniélou était des plus complexes et que s’y opposaient deux tendances à priori contradictoires. Si d’un côté on aurait pu le trouver mondain, lancé dans une société internationale cultivée, soucieux de ses cravates écossaises tricotées, roulant Jaguar , Porsche , très flatté des décorations et reconnaissances qui lui furent décernées, d’un autre côté il était loin d’être policé, roulait à grande vitesse dans ses voitures sportives, portait ses cravates écossaises seulement et uniquement sur des chemises Lacoste blanches à manches courtes qu’il lavait lui-même chaque week-end même au moment où son poste de directeur des Instituts de Berlin et Venise lui donnaient un salaire très confortable.
Je pense que cette dualité correspondait très exactement à sa position : ses origines européennes, son milieu familial, correspondent au premier aspect. Son intégration au milieu traditionnel hindou éclaire le second aspect.
Soucieux avant tout de connaissance, refusant idéologie, sectarisme, dogmatisme il avait appris des Hindous à tout toujours remettre en question et à ne jamais se cantonner à un fait « établi ». Non seulement mais à l’imitation des Saddhus, ces moines mendiants itinérants qui parcourent l’Inde, il considérait qu’il fallait avoir une attitude qui vous fasse être rejeté pas l’establishment, par le bourgeois, afin d’acquérir la plus grande liberté possible de pensée. Ceci allait de pair avec son opposition à la propriété, son côté nomade prêt à chaque instant à quitter un endroit, un pays, pour vivre d’autres vies, son aptitude à travailler n’importe où. Son « outing » en 1981 quand il déclara son homosexualité fait partie de cette technique tout comme sa façon de choquer sinon de scandaliser par des déclarations parfaitement contraires au « politiquement correct » si fréquent.
Jacques Cloarec, 2008.
EN LIBRAIRIE
Manimékhalaï ou le scandale de la vertu :
Edition Kailash, dans la collection : Les cahiers du Mleccha. Paris-Pondicherry, 2008.
Un chef-d’œuvre de la littérature tamoule ancienne qui date du deuxième siècle après Jésus-Christ qui n’a été édité en Inde qu’en 1898. Alain Daniélou, en nous faisant bénéficier de sa merveilleuse connaissance du monde indien et de ses talents d’écrivain, nous en propose la première traduction française intégrale.
Ce roman didactique, poétique et fantasmagorique, écrit en vars par le prince-marchand Shattan, constitue un document unique, d’une extraordinaire magie littéraire, qui nous plonge dans la réalité religieuse et sociale de la culture dravidienne.
Si le récit de l’ascension d’une jeune courtisane danseuse vers Bouddha et de ses passions prosélytes occupe une place centrale dans ce texte, les grands courants de la pensée et de la foi de l’Inde du Sud ne sont pas ignorés et, a aucun instant, l’auteur de cette étonnante épopée spirituelle ne trahit son génie littéraire ni sa verve romanesque.
S’allient en faisant du Manimékhalaï l’un des grands textes de l’humanité une vision mythique et une invention poétique qui, avec un pouvoir vertigineux et une évidence fulgurante, nous font traverser l’épaisseur vivante d’une civilisation. Les amoureux de littérature et tous ceux qui s’intéressent à la conscience indienne connaîtront, à la découverte de ce roman inspiré qui sait aussi parler de la nature avec illumination et du cœur humain avec profondeur, une grande aventure de lecture.
L’éditeur Hermann nous informe que le livre Sémantique Musicale d’Alain Daniélou publié en 1978, réédité régulièrement depuis (dernière impression 1993) est en cours de réimpression. Cette édition a été corrigée et préfacée par Jacques Dudon.Expositions et Concerts
Exposition
Alain Daniélou
« Dessin du Tour du Monde »
Japon, Une maison ouvrant sur le haut des arbres, 1936.