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PRÉSENTATION
Le compositeur Nicolas Nabokov avait côtoyé les mêmes milieux qu’Alain Daniélou dans le Paris des années 30 ; lors du long voyage en Asie qu’entreprend Nabokov en 1956, il donne une conférence à laquelle Daniélou assiste. Une amitié réciproque nait : « parce que c’était lui, parce que c’était moi », auraient pu dire l’un comme l’autre. Ou, comme Saint Simon évoquant Madame de Guyon et Fénelon, nous pourrions dire : « leur sublime s’amalgama ».

A partir de 1962, Alain s’installe à Berlin pour diriger l’institut de musicologie comparée. C’est Nabokov qui l’a sollicité, impressionné par son immense culture et son approche intuitive et perspicace à nulle autre pareille.

Nabokov, pendant ce temps, séjourne entre Berlin, New York et d’autres villes encore, et dirige le festival de Berlin. Dans ce Berlin coupé par le mur, où les positions des deux blocs sont fortement marquées, dans une ville où l’on manque de tout, les deux hommes scellent leur collaboration et leur amitié autour de dîners de fortune dans les rares restaurants existants et plus fréquemment « à la fortune du pot » dans l’appartement d’Alain Daniélou.

Si Daniélou était secret et parfois même donnait le sentiment d’être impénétrable, il avait une très grande proximité avec Nicolas Nabokov et s’ouvrait volontiers à lui. Il lui reconnaissait également une position tout à fait singulière, lui que le statut d’apatride avait rendu aussi à l’aise dans de nombreuses grandes cultures de notre temps : russe, allemande, française, américaine.

Par la perte de Nabokov, Daniélou soulignait non la perte d’un ami mais de l’ami.

Cet interview de Caroline Bougine du 1er mai 1996, propose en hommage à Alain Daniélou une « nuit indienne » ou de nombreux morceaux de musique sont diffusés, entrecoupés de témoignages d’amis et d’extraits d’interviews de Daniélou lui-même.

L’extrait que nous vous invitons à écouter aujourd’hui est celui de Nicolas Nabokov, témoignant de sa rencontre avec Alain et de leur amitié.

L’intégralité des interviews radiophoniques peut être consultée sur le site des archives.

Nicolas Nabokov, 1974. Photo : Jacques Cloarec.Nicolas Nabokov, 1974.
Photo : Jacques Cloarec.

TRANSCRIPTION

Caroline BOURGINE : Ayant le rare privilège d’être le seul occidental avec lequel Alain Daniélou – comme il le dit lui-même – se soit toujours senti profondément en accord, Nicolas Nabokov, le cousin du père de Lolita, nous offre son premier regard portrait.

Nicolas Nabokov : Alain Daniélou était pour moi une espèce de mythe hindou, plus mythe que l’Inde elle-même. Je savais qu’il avait quitté à ce moment-là Bénarès et qu’il s’était installé près de Madras dans un endroit qui appartenait à des théosophes qui s’appelait Adyar. Et un jour, on m’avait demandé de faire une conférence sur la comparaison de la musique indienne avec la musique occidentale et puis, est venu vers moi à la fin de la petite conférence que j’ai donnée et auquel je crois que très peu de gens ont compris quoi que ce soit – moi, peut-être le premier – est venu quelqu’un qui parlait tout de suite ma langue, c’est-à-dire la langue d’un musicien, la langue de quelqu’un d’intuitif et la langue de l’intelligence mélangée avec une espèce de rare gentillesse et une rare élégance de pensée.

On lui a demandé à cette personne qui était Alain Daniélou de dire quelques mots sur notre conférence. Or, dans la conférence, je me rappelle, j’avais dit une phrase en disant : « Avant de comparer des phénomènes, il faut les connaître. » et c’est cela qu’a repris Alain Daniélou en anglais et a donné une conférence, mais vraiment avec des petits coups de fouet dans leur conférence en disant qu’on compare trop souvent des phénomènes qu’on ne connaît pas du tout et qu’il faut connaître aussi le terrain humain et historique d’où sortent ces phénomènes. Si on ne les connaît pas, on va à la dérive.

Vous savez, on vous épuise en vous faisant entendre les mauvais chanteurs, les mauvais musiciens, voire les mauvais danseurs. Cela fait des jets avec les yeux, cela fait des mouvements avec les pieds en faisant des sonorités, de petites sonnettes de cloches d’ânes et ce sont des ânes et des ânesses qui le font. Et il a tout de suite dit : « Non, il ne faut pas voir cela, mais il faut voir cela et il faut voir cette personne danser. »

C’est, par exemple, là que j’ai entendu pour la première fois de la bouche d’Alain Daniélou le nom de la grande danseuse indienne Balasaraswati. C’est aussi de la bouche d’Alain Daniélou que j’ai entendu des tas de noms de musiciens indiens et pas seulement indiens. J’étais étonné.

Je me rappelle très bien le premier soir quand je suis rentré dans mon hôtel à Madras et où, en me couchant, je me suis dit : « Mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ce personnage ? » C’est comme si on avait affaire à quelqu’un qui a des longues antennes et que ses antennes couvrent presque tout le monde oriental avec une perception immédiate comme ce qu’on appelle en anglais avec un « inside ». Tu es précis.

Caroline BOURGINE : Interrogé par Marie Hélène Baconnet, Nicolas Nabokov qui avait, selon Daniélou, cette légèreté de l’âme qui donne une véritable compréhension du sacré.