Open/Close Menu Alain Daniélou Site officiel

3 Février 1933 – Visite de deux jeunes français, – deux jeunes messieurs, aux allures de dandy, qui se disent chargés d’une mission auprès de moi, de Tagore : – Daniélou et Burnier.

Ils sont des types de la jeunesse riche d’après-guerre, ces fils à papa (le père de l’un, Daniélou, a été, est, sera ministre…), ces élégants, ont fait une vie d’aventuriers, que bien peu de jeunes français d’avant-guerre auraient osée. Ils ont été en Asie centrale, séjourné en Afghanistan, où ils paraissent avoir été préalablement en relations avec le roi… Ils ont passé dans la province de Peshawar, avec des passeports diplomatiques, ont visité l’Inde, qu’ils ont trouvée, par contraste, un paradis de douceur – trop de douceur ! – Surtout Santiniketan et le vieux Tagore les ont ravis. Ils ont résolu de sauver cette oeuvre noble, qui périclite; et, avec l’approbation de Tagore, ils cherchent à y intéresser les gouvernements. L’argent ne comptent pas pour eux, et ils le disent : ils sont à la source, ils peuvent se procurer les sommes nécessaires, ce qu’il leur faut, c’est amener les différents États à fonder chacun une chaire à Santiniketan. Et l’on peut, certes, les y décider, par simple émulation nationale.

Ils viennent me demander quelques conseils, que je leur donne (je les oriente vers la vanité de Mussolini et celle, imberbe, de la jeune république espagnole, qui marqueront le pas). Ils me soumettent une liste de personnalités européennes, que Tagore leur a donnée et à qui ils se proposent de faire visite, pour les enrôler dans leur Comité d’honneur. Le bouffon est que la moitié des noms de cette liste sont des inscriptions de cimetière : Blasco Ibanez, Reymont, Nansen, etc., etc. Et ces bons jeunes gens n’en avaient pas la moindre idée ! Il est visible qu’ils n’ont jamais lu une ligne de ces célébrités, non plus que de Knut Hamsun, Bojer, Pirandello, etc., etc. dont ils ânonnent les noms sur leur liste. Mais ils en remontreraient aux orientalistes de métier sur les régions les plus inaccessibles d’Asie centrale et sur les musées et les fouilles. D’après leur aspect et leur mise, c’est le contraire qui eut semblé vrai. – Ces snobs, pareils à des mannequins de grands tailleurs, ont risqués les menaces des hommes et de la nature. Et ils affectent même de mépriser les précautions timorées des européens aux Indes. Ils ont traversé toutes ces régions, sans rien changer à leur costume, sans casque colonial contre le soleil. – Il est un écrivain, dont, par exception, ils ont entendu parler : c’est Malraux. –

Traduction : Romain Rolland

Source : Inde Journal – Albin Michel