Ce qu’ils ont dit : Edouard Mac’Avoy
Une rencontre avec Alain Daniélou est de celles qui vous modifient. Hindouiste célèbre, musicologue, historien de l’Inde, philosophe, shivaïte, frère d’un cardinal éminent, fils de ministre, Alain est un grand et mystérieux personnage. Sa mère, d’une vieille famille normande, qui fonda les écoles Sainte-Marie, était une de ces femmes telles que j’en connus un grand nombre, agitée par le tracassin de l’activité. Qui plus est, Mme Daniélou était possédée par une conception du catholicisme telle qu’elle eût fait perdre la foi en Dieu, en Jésus-Christ et en l’Église, à l’ange du ciel le plus zélé. Son jeune fils Alain se réfugia dans la danse, au grand scandale familial…
La merveilleuse histoire de sa vie, de sa révélation de l’Inde, Alain l’a racontée dans Les Chemins du labyrinthe. L’important est son oeuvre, riche et diverse, qui révèle, libère ou confirme.
Chrétien je suis, et protestant. Rien ne peut ébranler ni ma foi en Dieu, ni la certitude que le récit évangélique est d’une indiscutable authenticité. La vérité historique est là. La parole rend le son de la vérité. La grande harmonie panthéiste de la vie, ses dieux-symboles des grandes forces de l’Univers, que chante Alain Daniélou, ne me paraissent en rien incompatibles avec le message du Christ, et j’y trouve un bien-être de l’âme et un grand stimulant créateur.
Le rôle sain et profond de la sexualité dans le processus créateur, la sexualité non pas source de dépense, mais source d’énergie retenue, est un concept shivaïte qui m’a beaucoup apporté et singulièrement dans le dessin, qui est de la passion maîtrisée. L’Église catholique est gravement coupable d’avoir exploité à l’extrême, et à son profit, la notion absurde du péché originel et du péché tout court. Il fallait bien qu’Eve séduisît Adam pour que naisse l’humanité, que je sache. Alain Daniélou, à travers son Shiva et Dionysos, à travers La Fantaisie des dieux et L’Aventure humaine, nous délivre des tabous qui affaiblissent l’homme à ses propres yeux, et nous affranchit de toute soumission…
Imaginez deux grands portiques couverts de vigne vierge, magnolias, cèdres et cyprès, les collines du Latium et une vaste demeure que dore le soleil… C’est là que vit le sage, à Zagarolo, sur la colline du Labyrinthe. C’est là qu’il engrange, dans ses écrits, une longue aventure vécue à Bénarès, à Madras, à Pondichéry, et parmi les temples perdus à travers la jungle hindoue, longue aventure avec ses périls et ses péripéties, qui fut une longue conquête de l’esprit…
Nous arrivons avec Jean-Pierre au Labyrinthe, et déjà le chevalet est préparé par Jacques Cloarec, et les couleurs m’attendent sur la grande table, et le travail m’appelle. En ce lieu, toute mondanité est proscrite. Si Maurice Béjart vient passer quelques jours, c’est en ami, presque en pèlerin. Chacun travaille. La grande maison vit d’une vie intense et secrète. La beauté est là, partout alentour. On la respire, on la contemple, elle nous habite. On cueille la pêche parfumée sur l’arbre…
La sérénité d’Alain Daniélou est la somme d’une vie exemplaire. Il est souvent silencieux, soudain caustique. Et jamais il n’étale son immense savoir, mais il a réponse à toute question profonde. Il est gai. La sagesse est joyeuse. Et la mort, l’une des curiosités de sa vie.
Traduction : Edouard Mac’Avoy
Date : 1988
Source : Le plus clair de mon Temps – 1926-87, Ramsay