Open/Close Menu Alain Daniélou Site officiel

France Culture — Les chemins de le connaissance, 5/11/81

PRÉSENTATION

Découvrez par cet interview les raisons qui ont poussé Alain Daniélou à choisir le dieu Shiva dans le panthéon hindou ainsi que l’avis de la danseuse Savitri Naïr sur le choix d’un dieu et sur le rapport d’Alain Daniélou à l’hindouisme et à l’Inde.

Un témoignage poignant d’une reconnaissance sans réserve par les Indiens de l’intégration de Daniélou dans leur univers.

L’intégralité des interviews radiophoniques peut être consultée sur le site des archives.

Alain Daniélou

TRANSCRIPTION

Alain DANIÉLOU : Les religions anciennes de l’Inde qui étaient principalement le shivaïte, avec ses héros protohistoriques Brahma et Krishna. Elles ont survécu parallèlement à la tradition védique transmise par les Brahmanes dans le nord de l’Inde surtout. Mais les Védas, c’est un nombre de… il y a quatre Védas et quelques petits textes annexes qui sont des textes philosophiques et divines aux dieux védiques. Mais les dieux Brahma et Krishna n’apparaissent dans les textes védiques, ils sont complètement ignorés. C’est tout à fait un autre monde.

Interviewer : Oui, alors les écrits védiques datent de quelle époque et Krishna date de quelle époque ?

Alain DANIÉLOU : Les écrits védiques datent environ du IIème millénaire avant l’ère chrétienne.

Interviewer : Cela fait 4 000 ans, donc.

Alain DANIÉLOU : Oui, les Aryens sont arrivés dans l’Inde avec certains textes du Rig-Véda, le plus ancien. Ce sont simplement des hymnes au dieu du feu, ou dieu du vent ou à des différentes divinités qui sont d’ailleurs pratiquement les mêmes que celles des Grecs.

Ensuite, à la littérature védique, on rattache certains textes philosophiques comme certains Upanishad et les Brahmanas qui sont des grands livres de rituels. Et puis, c’est tout.

Ensuite, il y a des écrits philosophiques. Il y a toute sorte de sectes dans l’Inde qui sont athéistes, qui sont déistes, qui se relient vaguement et seraient comme toujours de l’autorité des Védas, mais ne sont pas considérées comme des textes védiques.

Interviewer : Et Krishna alors, quand apparait-il et que représente-t-il ?

Alain DANIÉLOU : Krishna représente un héros qui combattait les envahisseurs Aryens. Il était donc essentiellement anti-védique si l’on peut dire. Ces épisodes de la conquête aryenne sont représentés dans un grand ouvrage qui s’appelle le Mahabharata, c’est-à-dire la Grande Guerre dans lequel le héros Krishna – plus tard divinisé, car il ne l’est pas à l’époque – sert de guide au héros Arjuna qui combat les…

Tout ceci a été arrangé, c’est modifié et on date cela, dont le héros justement 1800-2000 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire exactement au même moment que l’arrivée des Aryens. Mais c’est une littérature tout à fait séparée de la littérature védique, même si ensuite, il y a eu beaucoup d’échanges et de choses comme cela.

<MUSIQUE>

Interviewer : Pour la danseuse indienne Savitry Nair, Krishna est une figure mythique.

Savitry NAIR : Krishna, pour nous, c’est une avatar, une incarnation du dieu Vishnou, l’un des dieux de la trinité hindoue : Brahma, le créateur, Vishnou, le protecteur et Shiva, le destructeur des illusions et qui recommence le cycle de la vie.

Comme cela, Vishnou s’occupe de la possession de milieu qui est très équilibré. Krishna est le 8ème avatar de Vishnou. Il a une place très importante en Inde. Il est vénéré partout par les hindous dans les différents plans, surtout Krishna enfant qui a inspiré beaucoup d’histoires, beaucoup de littératures, poésies et qui sont empruntées plus tard pour la tradition de la danse comme celle de Kuchipudi.

Krishna en homme est l’homme parfait qu’on adore et il est considéré comme l’être avec qui toutes les jeunes femmes désirent s’unir.

Interviewer : Alors, certains prétendent que Krishna est le dieu unique, le dieu suprême. Mais, ce n’est pas vrai. Dans le contexte indien, il y a plusieurs dieux.

Savitry NAIR : Il y a plusieurs manifestations de dieu et en plus, je vous ai dit que les hindous croient dans la trinité hindoue. Mais il y en a quand même beaucoup en Inde qui prennent l’aspect de Krishna comme le dieu.

Interviewer : Mais alors, chacun peut choisir son dieu. Par exemple, vous, vous n’avez pas choisi Krishna. Vous avez choisi plutôt Shiva, pourquoi ?

Savitry NAIR : Il y a une liberté de choix de dieu personnel et c’est une conception. C’est très important en Inde. « (0:04:43) » Ichta simplement veut dire « le dieu que tu aimes ». C’est justement dans le panthéon hindou que tu retrouves Subrahmanya, Ganesha, Saraswati, je peux raconter beaucoup de noms.

De mon côté de mon père, par exemple, il a vénéré Krishna et le côté de ma mère, elle était une dévouée de Shiva et moi, j’ai hérité les deux. Et comme je danse et je suis danseuse, je vénère Shiva tous les jours. Mais Krishna est aussi dans mon autel tous les soirs. On chante beaucoup de louanges de Krishna.

Interviewer : Alors, Alain Daniélou, on peut se demander pourquoi les maîtres spirituels de la secte Krishna assimilent Krishna aux écrits védiques ?

Alain DANIÉLOU : C’est absurde.

Interviewer : Pour quelle raison le font-ils ? Il y avait une raison ?

Alain DANIÉLOU : Parce que le Véda représente théoriquement une espèce d’autorité spirituelle. C’est comme si, ici, on voulait rattacher des choses à la Bible. C’est cela, oui, mais cela, c’est déjà dans la Bible. Mais, en fait, je ne crois pas que les membres de ces sectes aient jamais vu des Védas, ni sachent de quoi il s’agit.

Interviewer : Et c’est une déformation aussi que de représenter Krishna comme le dieu unique.

Alain DANIÉLOU : Evidemment, vous savez que dans les textes philosophiques, on représente le nombre un comme le symbole de l’erreur. Le dieu unique est absolument une impossibilité métaphysique et là, toute la philosophie indienne est d’accord. Aussi, il y a une cause première à l’univers d’une certaine façon. Elle est impersonnelle au-delà des nombres, absolument en dehors de toute personnification possible.

Interviewer : Donc, le fait de présenter un dieu unique est une christianisation en quelque sorte d’un pseudo-hindouisme.

Alain DANIÉLOU : Oui, et on peut dire, dans ces sectes, toute l’idéologie, toutes les conceptions sont entièrement occidentales et chrétiennes.

Interviewer : Et que dire de la discipline qu’ils imposent à leurs adeptes ? Une discipline très stricte, vous savez. Ils se lèvent tous les jours à 3h et demie. Ils commencent leur cérémonie à 4h et demie jusqu’à 8h et demie. Ils ne boivent pas d’alcool. Ils ne mangent pas de viandes, évidemment. Ils ne boivent pas de thé ni de café. Ils limitent la relation sexuelle à la procréation.

Alain DANIÉLOU : Ceci est absolument fondamentalement contraire aux principes mêmes fondamentaux de l’hindouisme car ce qui a fait justement la grandeur et la force de l’hindouisme, le fait que tous les peuples persécutés ont trouvé refuge dans l’Inde, c’est le grand principe que pour chacun de nous, le bien est ce qui nous permet de nous améliorer, de nous développer et ce qui nous dégrade est le mal.

Mais personne ne peut dire ce qui est bien pour un autre. Jamais, on ne peut faire une règle en disant : « Vous devez faire ceci. Vous ne devez pas faire cela. »

Il y a des règles sociales qui sont des conventions humaines, mais du point de vue religieux, vous ne rencontrerez jamais un véritable hindou qui vous dira : « Vous ne devez pas manger ci ou vous ne devez pas faire cela ou vous ne devez pas faire l’amour. » Tout ce genre de règles qui détruit la personnalité est absolument le contraire de la Brahma hindou.

Interviewer : Mais au contraire, eux prétendent rétablir la personnalité dans la mesure où l’homme n’a qu’une existence spirituelle et pas du tout matérielle.

Alain DANIÉLOU : Enfin, sur quelle base ? Je crois que c’est typique de tous les systèmes tyranniques. Quand on veut exploiter les gens, quand on veut les réduire, leur faire un lavage de cerveau, on leur impose des règles comme cela.

Interviewer : Alors, une question se pose, comment et pourquoi l’hindouisme a-t-il fourni ce mode d’exploitation finalement aujourd’hui ?

Alain DANIÉLOU : Je crois que c’est parti beaucoup des rêveries de Madame Blavatsky qui est de la théosophie au départ, de donner une coloration orientale, exotique à quelque chose que nous retrouvons d’ailleurs sous une autre forme dans toutes les sectes fanatiques plus ou moins bibliques qui existent en Amérique.

C’est que je ne sais pas si c’est purement accidentel, c’est parce que la mode est à l’Orient et que cela a une espèce de fascination. Mais cela n’a rien à voir en fait avec l’hindouisme sur aucun plan.

<MUSIQUE>

Responsable éditoriale : Anne Prunet.
Réalisation : Archipel Studios.